Connaissez-vous Pierre Narbonne ? Non ?

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Connaissez-vous Pierre Narbonne ? Non ? Pas de panique, Raconte-moi Versailles a relevé ses manches et s’est plongé dans les archives pour tenter de redonner vie à cet illustre personnage, dont le nom aujourd’hui oublié, est intimement lié à la mémoire de Versailles.

Le premier commissaire de police de Versailles

Pierre Narbonne est le fils du marchand Robert Narbonne. Tout jeune, il s’installe à Versailles avec ses parents, qui habitent dans le quartier du parc aux cerfs. Il peut être fier d’une carrière toute dévouée à la Couronne et à la ville de Versailles.

Dès 1701, alors huissier au baillage de la ville, Pierre Narbonne commence l’écriture d’un journal dans lequel il consignera pour lui-même tout ce qui concerne la ville et ses événements. Au total, cet ouvrage comptera 24 volumes qui sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque Nationale de Versailles.
Narbonne travaille aux ordres de Louis Blouin, premier valet de chambre du roi Louis XIV, et gouverneur de cette ville un peu particulière, toute tournée vers le château et sa Cour. Quelque temps après la mort de Louis XIV en 1715, le duc d’Orléans, devenu Régent, s’échappe de Versailles pour se rendre à Vincennes. Il emmène le jeune Louis XV avec lui. La ville de Versailles se vide des gens de Cour et notre gouverneur reste seul aux commandes d’une ville « presque déserte ». Si Versailles est comme une ville abandonnée, il faut pourtant bien s’en occuper. Au mois d’avril 1721, Louis Blouin obtient de Louis XV la création d’un commissaire de police.

Narbonne est un garçon zélé, intelligent, méthodique, et c’est tout naturellement à lui que le gouverneur pense pour commander sa police. A 40 ans, Pierre Narbonne devient ainsi le premier commissaire de police de la ville de Versailles. Ce doit être une vie bien mouvementée, car Narbonne, ainsi qu’il le rapporte dans son journal, partage son temps entre les rapports de police, les émeutes de Versaillais mécontents, les mémoires à présenter à ses supérieurs.

Un objet de mémoire exceptionnel : le journal de Pierre Narbonne

D’un journal qui aurait dû rester intime, on tire des renseignements si précieux sur la vie de Versailles sous les règnes des rois Louis XIV et Louis XV, que nombreux sont les historiens qui puisent dans ses mémoires. C’est d’ailleurs à Joseph-Adrien Leroi, bibliothécaire, que l’on doit une édition condensée du journal de Narbonne, en 1866.

Avec constance, de 1701 à 1746, Narbonne consigne les événements royaux, les affaires de police, les désordres météorologiques, les récoltes désastreuses, les colères du peuple. Il va même jusqu’à faire un recensement précis de la population de Versailles, ce qui est une grande première. Tout, il prend tout, écrit tout, collecte tout. On y apprend le prix des denrées, les dépenses d’entretien des châteaux et domaines royaux. Narbonne en bon commissaire respecte l’ordre et la hiérarchie. Cependant, il ne manque pas de conserver avec malice les pamphlets, les ragots, les chansons qui se moquent des hauts personnages de la Cour. A cela, Narbonne ajoute ses propres réflexions sur les bourgeois mal éduqués, les seigneurs indifférents ou débauchés. Il dénonce les magouilles, les tripotages et revient souvent à la charge contre les médecins incompétents et assassins. Molière n’est pas loin !

Mais Narbonne propose aussi. Combien de mémoires n’écrit-il pas pour dénoncer les embarras de la ville, régler l’inconduite des porteurs de chaises, proposer d’améliorer la circulation ou de paver les rues et la place du marché, de créer une compagnie de pompiers, une brigade anti mendiants. Il exprime ses difficultés à se faire écouter.

Mais il faut bien l’avouer, c’est à la lecture des ragots et potins que l’on prend le plus de plaisir. On y découvre la ridicule princesse de Talmont, dévote et superstitieuse et qui croit aux fantômes, on s’émeut sur le meurtre d’un Antoine Prieur, tué dans la rue de bel Air par l’amant de sa femme. Et Narbonne de conclure :« Voilà la cruelle destinée des amours illicites ». Narbonne n’aime pas non plus la franc-maçonnerie. Il s’étend aussi longuement sur la mésaventure et la honte d’un curé voleur pris la main dans le sac ; il s’émeut d’un bal donné par Louis XV alors en deuil. Puis se défend âprement lorsqu’on veut lui faire un procès. Et l’on apprend que Louis XV aurait bien fait raser les châteaux de Marly, de Saint-Germain ou de Chambord si quelques courtisans ne l’en avaient pas empêché !

Dans l'intimité du commissaire

Narbonne ne court pas qu’après les voleurs. Il court aussi après son fils aîné Pierre-Charles, né en 1706. Celui qui aurait dû être sa fierté est en fait l’objet de son déshonneur. A côtoyer les grands, on en côtoie aussi les vices. Pierre-Charles est flambeur et il commence tôt ! Dès 1723, ce jeune homme déluré de 17 ans « joue et fait des parties avec des compagnies assez distinguées ». Il se fait renvoyer de son office. Son père l’enjoint de se calmer. Il reprend son service et se voit confier des papiers très importants à porter au roi à Fontainebleau. Nous sommes en 1726. Les papiers arrivent à bon port après un arrêt de neuf jours à Paris où Pierre Charles fait une fête monstrueuse et dépense une fortune en jeu et en femmes ce qui le pousse à vendre sa montre et ses habits. Cela lui vaut un séjour d’un mois dans un cachot du For l’Evêque, la prison des comédiens et des fêtards endettés. Prison lugubre des quais de Seine où l’on peut encore trouver le moyen de s’amuser. Et tandis que Narbonne père s’évertue à maintenir l’ordre dans Versailles, le fils s’enfonce dans la débauche malgré plusieurs séjours au couvent.

A ce malheur s’ajoute la perte de Marie Catherine Lejeune, l’épouse du commissaire, le 16 septembre 1726. Voilà Pierre Narbonne devenu veuf, à la tête d’une famille de huit enfants. Il faut continuer à traiter les affaires courantes, règlementer la fabrication du pain, raconter la disgrâce du duc de Bourbon, observer d’étranges lumières septentrionales dans le ciel de Versailles comme de Saint-Germain et gagner des procès. Puis Narbonne perd son père Robert le 10 octobre 1727.

Alors Narbonne se remarie le 25 novembre 1727. Il a 48 ans et Elisabeth Nativelle, sa toute jeune épouse, 24. Pierre-Charles a 21 ans et continue ses frasques qui désespèrent son père. Son fils est plongé dans une débauche outrée. Narbonne ne peut qu’en convenir « C’est un enfant de mensonge rempli de toutes formes de vices » et le 26 mars 1729, Pierre-Charles est arrêté. Le voilà une nouvelle fois incarcéré à For l’Evêque, puis à Bicêtre. Il sera déporté vers le Canada. Si Pierre Narbonne est désespéré il n’en demeure pas moins que pour lui « l’honneur doit prévaloir sur la tendresse qu’on doit toujours retrancher aux enfants rebelles ». Pierre Narbonne ne reverra plus son fils.

Malheureusement, Pierre-Charles Narbonne tombe malade et meurt à l’hôtel Dieu de Québec le 10 avril 1731. Il avait 25 ans.
La même année, voilà le commissaire à nouveau papa d’une petite Elisabeth Jeanne. Trois autres naissances vont suivre s’étalant jusqu’en 1737, trois filles et un petit garçon qui meurt à 11 mois en 1733. Pierre Narbonne aura donc eu 14 enfants. Mais la nouvelle de la mort de son fils Pierre-Charles le fragilise sans doute. Pierre Narbonne est malade. Et lui qui décriait souvent les remèdes des médecins, subit les traitements comme les autres, les purges et les saignées.

Une source d'inspiration

Narbonne est un homme rigoureux, il continue ses fonctions, règle les affaires judiciaires, s’étend longuement sur les drames familiaux des Versaillais, fait le compte des dépenses des différents bâtiments royaux, s’amuse des surnoms donnés aux membres de la Cour et parle des guerres du roi. Il s’émeut toujours autant de la pauvreté si considérable à Versailles en 1740. Mais ce que l’on découvre c’est le décompte incroyable et précis des séjours du Roi dans ses différents châteaux : Marly, Fontainebleau, Compiègne, Rambouillet, au jour près ! Et Narbonne nous fait voyager au gré des délégations qu’il relate, en recopiant les journaux des témoins oculaires des faits qu’il rapporte. Le 23 mars 1745, il donne sa démission de commissaire de police. Il a maintenant la soixantaine bien tassée et des problèmes de santé qui l’immobilisent. Il se plaint d’avoir la goutte.

Finalement, le 10 mai 1746, Pierre Narbonne s’éteint à Versailles. Il est ensuite inhumé dans le cimetière de la vieille église.

Il nous laisse un journal de bord incroyable. 24 tomes écrits par un homme dont on ne devrait plus garder le souvenir. Ce faisant, Narbonne nous livre les plus belles anecdotes des règnes de Louis XIV et Louis XV, lui qui entra chez les plus grands et visita les plus petits.

Raconte-moi Versailles s’est inspiré de la vie de cet homme et de quelques-unes des anecdotes les plus insolites qu’il a relatées pour concevoir son parcours « Tonnerre sur Versailles : une enquête à travers le temps ».

Bibliographie

  • Archives départementales des Yvelines Etat civil
  • Bibliothèque registres des malades de l’hôtel Dieu de Québec
  • Cercle généalogique de Versailles et des Yvelines
  • Cercle de généalogie de Québec
  • Geneanet.fr
  • Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV, de l’année 1701 à l’année 1744, par Pierre Narbonne, recueilli et édité avec introduction et notes par Joseph Adrien Leroi, conservateur de la bibliothèque de Versailles, 1866, Hachette Livre et Bibliothèque Nationale de France.
  • Histoire de Versailles, de ses rues, places et avenues depuis l’origine de cette ville jusqu’à nos jours, 1868, Hachette Livre et Bibliothèque Nationale de France
  • Avantures du Sr. C. Le Beau, avocat en parlement; ou, Voyage curieux et nouveau parmi les sauvages de l’Amérique septentrionale, dans lequel on trouvera une description du Canada, Claude Lebeau, 1738, consultable sur numilog www.numilog.com/LIVRES/ISBN/9782763794105.Livre

Article rédigé par Clothilde DAVID dans le cadre du projet "Raconte-moi Versailles"